Dans la machine : Les logiciels de prod
Avec le développement des home-studios chez les rappeurs émergents, de plus en plus de références aux logiciels de son débarquent dans les textes de rap français
2022-12-26
Avec le développement des home-studios chez les rappeurs émergents, de plus en plus de références aux logiciels de son débarquent dans les textes de rap français. Les rappeurs apprennent à enregistrer et mixer leurs œuvres, gagnant ainsi une maitrise totale de leur création.
Pour RapMinerz, le beatmaker et ingénieur du son Darealright (Youri, B.B Jacques, EDGE) nous éclaire sur les références à ces outils, qui racontent l’histoire et les coulisses de la production.
Chacun de ces logiciels possède ses particularités. Entre Plug-In natifs et autres spécificités, leurs sons retentissent différemment, de façon parfois évidente pour des professionnels aux oreilles entraînées. Alors, choisir un programme n’est pas qu’une affaire de confort et d’habitude, mais un vrai parti pris pour un ingé son : « Chacun à sa préférence, ta manière de penser et comment tu passes de ce que t'as dans la tête à l'ordinateur » explique Dareal. Chaque ingé son défend donc sa chapelle, mais voyons ce qu’en dit le rap.
Les logiciels de son les plus répandus
C’est le séquenceur musical allemand Cubase qui fait figure de doyen avec une première apparition en 1998 dans le couplet de Jackal C sur le morceau “La Solution” de Com’X en feat avec le Saïan Supa Crew :
Monorime, honorés comme Balzac le kimono Milan
« Je » est bien défini, nous sommes adaptés comme Cubase
Jackal C feat. Saian Supa Crew, Com'X (1999)
Cubase, bien que permettant de composer et de créer des arrangements, perd en popularité par la suite puisqu'il nécessite d'importantes connaissances théoriques d’ingé son pour pouvoir être utilisé à son plein potentiel.
En 2003, c’est au logiciel d'enregistrement et de mixage Pro Tools d’avoir sa première citation dans le morceau “Quoi de neuf” de Disiz :
Peace, à tous ceux qui rappent, qui remplissent les pistes
Pro Tools a changé le disque mais j'reste authentique
Disiz, Quoi de neuf (2003)
Pro Tools est aujourd’hui considéré comme un « vieux de la vieille ». Axé sur le mix et l’enregistrement, il reste très utilisé et est une étape obligatoire pour tous les ingénieurs du son.
Parmi les logiciels les plus cités et probablement les plus utilisés, on retrouve en première place FruityLoops, aussi appelé FL Studio ou simplement FL. Il permet de composer des instrumentales sur la base de patterns et est ainsi bien adapté aux besoins des beatmakers. Au total, c’est dans les textes de plus de 60 rappeurs que se glisse au moins une référence à FL Studio mais il faudra attendre 2010 et sa démocratisation pour y trouver une première référence
D’semi-crash vaisseau gosse-moi pas Wu-Tang
En chacune de mes acouphènes, Fruity Loops soup man
Alaclair Ensemble, Rock rien du tout (2010)
Sa force réside dans son accessibilité : Il n’est pas designé pour les musiciens. FruityLoops est conçu en 1997 par Didier Dambin, un codeur belge sans aucune formation musicale, dont l’occupation principale est alors de concevoir des versions pornos de jeux vidéo à la mode. Instinctif et facile à prendre en main, FL Studio offre donc un fonctionnement et une approche radicalement différents de ceux de ses concurrents, au point que la transition vers d’autres logiciels peut s’avérer compliqué pour certains artistes. Mais qu’à cela ne tienne, nombre d’entre eux sont parvenus à exceller sur ce programme, jusqu’à s’imposer au sommet de l’industrie musicale. Pour Darealright, ça ne fait aucun doute : « Il y a un âge d'or du beatmaking qui a commencé avec FL : ça a changé la donne ».
Le deuxième logiciel majeur dans la production rap est le logiciel américain Logic Pro développé par Apple. Il permet de produire facilement grâce à une interface intuitive pouvant être enrichie de nombreux plugins. Sa première apparition date aussi de 2010 et on la retrouve chez Canardo dans le morceau “Magic” : “
Quand j'prends mon stylo Bic
Un synthé, une MPC branchée à Logic
Canardo, Magic (2010)
Permettant de mixer et de composer, Logic produit un son très brut. Pour Darealright, le fait qu’il ne soit accessible uniquement via Apple ne représente pas un obstacle : « Les gens qui font de la musique sont plutôt sur Mac ». Logic doit aussi son succès à son petit frère, GarageBand qui faisait partie de la suite iLife dans les années 2010 et était ainsi déjà installé sur de nombreux mac à leur achat. Cependant, bien qu’il soit très intuitif, il demeure limité dans l'utilisation, comme le rappelle le rappeur Convok :
Dans mon coin, j’fume ma salade verte
Tu peux pas comparer Logic avec Garage Band
Convok, Cas asocial (2016)
Et Dareal ne pourrait être plus d’accord, pour lui GarageBand est utilisé par les débutants ou ceux n’ayant rien d’autre sous la main. S’il ajoute qu’aucun ingé son sérieux ne l’utilise, il reconnait l’incroyable discipline de ceux qui parviennent à créer de bonnes prods sur GarageBand.
Reste encore Ableton, logiciel complet permettant de mixer, composer et monter. Pourtant pro-FL, Darealright reconnait volontiers ses qualités : « C’est le truc qui offre le plus de possibilité ». On y retrouve une première référence seulement en 2016
D’un coté, une mélodie ravageuse
Derrière une grille Ableton
De l’autre, une pierre précieuse
Baloji, 64 Bits & Malachit (2016)
Un besoin vital pour les rappeurs
A force d'occurrences, les logiciels présentent le quotidien des rappeurs en studio, entre passion et enfermement. La musique devient un besoin vital et les logiciels de productions un des moyens de l’entretenir. C'est un moyen pour nos artistes d'illustrer leur quotidien, souvent répétitif, ou les séances studio s'enchainent pour parvenir mettre en musique ce qu'ils ont au fond d'eux. Le logiciel peut même servir à nourrir un paradoxe qui anime certains rappeurs : entre rejet de la société consumériste et le besoin d’avoir des outils de production pour pouvoir l’exprimer
La musique comme thérapie, mon psychanalyste s'appelle Pro Tools
Youssoupha, Revolver (2011)
Cousin c’est morbide, j’ai envie d’fumer un Apple Store
Mais j’me contenterai d’hacker Logic
Népal, Insomnie (2017)
Les logiciels comme synonymes du temps passé au studio
Pour exceller dans son domaine, il faut pratiquer encore et encore : de nombreuses références aux logiciels évoquent alors l’attachement des rappeurs à leur studio et la solitude qui en découle. Le temps passé en studio semble couper les rappeurs de vie sociale, allant jusqu'à y projeter la fin de leur vie. Leur personnage artistique existe à travers leur musique, pendant qu'eux sont reclus chez eux ou en studio.
J'suis posé au stud', ça fait des instru' sur FL, en effet, pépère
Cette année, j'ai plus vu la FLBR (BR) que la tour Eiffel
Lesram, CNN (2022)
J'vais mourir debout devant mon mic'
J'fais qu'm'endormir sur FL Studio
Gouap, Barbapapa (2017)
Dans les coulisses de la production musicale
Parler de ces logiciels est aussi un moyen de permettre à l’auditeur de s'immiscer au détour d’une phase dans les coulisses de la production musicale d’un rappeur. Comme une sorte de making of, le rappeur peut décrire les éléments de son home-studio pour illustrer en musique son processus de travail. Certains font aussi références aux artistes de l’ombre avec qui ils collaborent. C’est notamment le cas chez Makala qui en place souvent une pour son acolyte de toujours Varnish la Piscine, ou encore Youri qui met en lumière le travail de Dareal dans son dernier projet
Oups MVP, oups XTRM
Y'a qu'Varnish la Piscine qui fait briller Fruity Loops
Gun Love Fiction, Makala (2017)
Ola, libérez TRT ma gueule
Ola binks, c'est Dareal à la prod, mon gars
Youri,City Morgue (2022)
Des outils emblématiques
Entre la métaphore du praticien l’évocation du temps passé en studio, les logiciels de prod se révèlent à travers le rap comme les outils vitaux pour les artistes et leurs équipes. Mais ils sont loin d’être seuls. Certains Plug-In, comme l’auto-tune Antarès, ou équipements, comme les deux cartes-son classiques du rap français que sont l’Apollo et Scarlett Focusrite, font figure d’indispensables dans la boîte à outils de cette culture. Aux beatmakers en devenir de choisir s’il faut s’en équiper ou si leur ingéniosité leur permettra de s’en passer.
Ceux qui sur mon son ils tryhard
J'le fais sur une focusrite
Femtogo, 2010 (2022)