Interview d'Alexandre Ehrmann
Alexandre Erhmann, 48 ans, travaille dans l'industrie musicale depuis 30 ans, ayant été chez Island, AZ, Mercury, et Universal, et manager de Calogero
2024-07-12
Présentez-vous et votre parcours
Je m’appelle Alexandre Erhmann, j’ai 48 ans et je travaille dans l’industrie de la musique depuis 30 ans. J’ai bossé dans le label Island, le label AZ, puis je suis revenu chez Mercury. En 2012, j’ai arrêté et je suis parti faire de la télé. J’ai monté un magazine musical sur France 2 qui s’appelait Alcaline, que j’ai géré pendant trois ans. Ensuite, je suis retourné chez Universal pendant quatre ans. En parallèle, j’ai commencé à faire du management. Un jour, Calogero m’a demandé si je voulais bien devenir son manager, et j'ai fait ça pendant 15 ans.
Avez-vous vu arriver des nouveaux métiers au sein de l’industrie ? Si oui, lesquels ?
J’ai vu arriver tous les nouveaux métiers liés au digital de manière générale. Quand j’arrive en 97, on est à l’heure du CD. Y’a pas de téléphone portable, pas de réseaux sociaux… Quand j’ai 20 ans et que j’arrive dans ce métier, tous les trucs digitaux d’aujourd’hui n’existent pas. J’ai connu l’âge d’or du CD où on en vendait à la pelle. La première révolution que j’ai connu, c’est donc la chute du CD et l’arrivée du streaming. Au milieu de tout ça, il y’a une zone un peu grise, qui correspond au temps qu’il a fallu pour qu'il y ait un modèle économique qui se crée (piratage et téléchargement illégal…). C’était une période compliquée pour l’industrie. Il fallait réfléchir à un nouveau modèle qui n’était pas encore là et en même temps s’adapter à un nouveau monde qui était en train d’arriver…
Avez-vous vu arriver de nouveaux services inhérents à l’effervescence de la production indépendante et à l’évolution des nouvelles technologies ? (s/o artist et label services)
Tous les services liés au digital. Et les nouveaux contrats d’Artist et Label Services avec des services de marketing, de promo, de brand à la clé. Tout ça n’existait pas et Believe a été l’un des premiers à proposer ces services. Les artistes, encore plus avec l’explosion de l’urbain, ont bien compris qu’ils n’avaient plus besoin de tout ce que les contrats d’artistes classiques proposent. La moitié de ce qui était mis à disposition des artistes par les maisons de disques sont des choses que les artistes peuvent gérer eux mêmes. Aujourd’hui les majors s’y mettent et doivent s’adapter mais elles sont tellement énormes que ça prend beaucoup plus de temps.
À quel point la data est-elle devenue un élément crucial au sein de l’industrie ? (arrivée de Charmetric, Soundcharts, aide pour le scouting…)
Les labels en ont fait leur objectif de collecte depuis longtemps. Comment fidéliser une clientèle ? Comment faire pour que l’artiste soit dans un rapport direct avec le fan ? Comment faire pour que le fan soit le premier à être au courant d’une actu qui sort ? La récolte de la data. C’est le nerf de la guerre.
Aujourd'hui dans le principe même de la gestion de vie d’une sortie d’album, la phase la plus importante c’est pas la phase de sortie, c’est la phase d’avant la sortie. Parce que si la sortie est mal préparée, le jour où l’album sort, il ne va rien se passer.
C’est là où la data est primordiale.
Comment voyez-vous la production indépendante dans cinq ans ?
Grandissante. Dans 5 ans, il y aura encore plus d’artistes qui vont vouloir se produire indépendamment et encore plus de labels qui vont proposer des services pour s’adapter à cette effervescence de la production indépendante. Quand un artiste X est capable de faire sa musique tout seul, les services qui s’offrent à lui c’est un peu comme à la carte. Plus besoin d’aller voir une major qui propose un service global.
Quelles sont les évolutions qui génèrent chez vous le plus d’appréhension ?
Je n’ai pas d’appréhension particulière parce que je pense que c’est ça la vie. Il y a des choses qui s’arrêtent et il y a des nouvelles choses qui se créent. Après si je devais avoir une interrogation plus qu’une appréhension c’est l’IA. Parce que ça dépend de ce qu’on va faire de cet outil. Globalement, sur le papier, ça peut amener des choses dingues, mais ça ne dépendra que de la régulation. On en revient un peu au début des années 2000 quand le digital est arrivé, que le CD s’est cassé la gueule et qu’il a fallu trouvé un modèle économique. Je pense que c’est ça l’enjeu. Trouver un modèle juste, avec des lois, pour éviter de faire tout et n’importe quoi.
La deuxième interrogation c’est la rémunération, les droits. Comment faire pour que les artistes demain soient correctement payés pour leur musique ? J’ai l'impression qu’on est en train de rendre la musique gratuite. Je connais trop d’artistes qui font de la musique mais qui n’en vivent pas. C’est quand même ça l’élément nouveau de ce chambardement dans lequel il y a pleins de trucs géniaux qui se créent, mais au milieu de tout ça il faut que les artistes gagnent leur vie.