Le club des 27
Le funeste club fait l’objet de nombreuses références mais quels rapports les rappeurs entretiennent-ils avec lui ?
2022-10-03
Le funeste club fait l’objet de nombreuses références mais quels rapports les rappeurs entretiennent-ils avec lui ?
Le club des 27 est un groupe de rock stars mortes à l’âge de 27 ans tel que le chanteur de Nirvana, Kurt Cobain, décédé en 1994, ou encore la chanteuse britannique Amy Winehouse qui nous a quitté en 2011. Le club se « forme » suite aux morts successives des artistes Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrison entre 1970 et 1971. Au-delà de l’âge, ce sont surtout les circonstances tragiques des décès qui réunissent et hissent ces artistes au rang de légendes : overdose, accident, suicide. Après sa mort en 2018, Fredo Santana devient le premier rappeur à intégrer ce groupe mythique qui fait pourtant depuis longtemps l’objet de nombreuses références dans le rap, allant du rejet à la fascination.
J'suis dans l'club des 27, j'turn up avec Jimi Hendrix. Fredo Santana, Amy, Kurt Cobain, Jim et Janis
Jok’Air, La fièvre du samedi soir (2019)
Les références aux rockstars panthéonisées
Chez les rappeurs, les références au club des 27 se font d’abord en dédicaçant les artistes iconiques qui le composent. C’est notamment le cas chez Assy dans le morceau “Virus” où il évoque la mort controversée du chanteur de Nirvana: “J's'rai pas du club des 27, j'finirai pas ma vie comme Kurt” ou encore chez Skow Mansion dans “C’est Plus Un Freestyle #4 Dugarry” : “Dehors y'a des guitares, mais pas celles de Hendrix / Moi j'vais jamais composé le 17, c'est mystique comme le club des 27”. Parmi les rappeurs multipliant les références aux membres du club, c’est finalement chez Jok’Air qu’on trouve le plus de name dropping.
Le désir morbide d’entrer dans la légende
Avant 2018, aucun artiste rap n’avait appartenu au club des 27. C’est d’ailleurs ce qu’exprime Muddy Monk dans le morceau “Club 27” : “Refoulé du club des 27 / Paraît que la guest list est complète”. Si le club est traditionnellement associé à la culture rock, on y accède surtout après une mort brutale qui interrompt une carrière en plein essor. Les rappeurs qui abordent le sujet parlent donc nécessairement de leur décès comme chez FK qui nous dit dans “Train d’Enfer” : “Dans 6 c'est la retraite au Club des 27”. Chez Jok’Air, c’est le poids des autres, notamment celui de son public qui l’adore de son vivant, qui est annonciateur de mort dans le morceau “Club des 27” : “Ils ne veulent pas qu’j’atteigne la trentaine, me veulent dans l’club des 27 / Que tout s’arrête d’une overdose dans ma chambre d’hôtel”. Les discours sur la mort allant parfois même jusqu’à évoquer la tentative de suicide comme c’est le cas chez Fuzati.
Recalé du Club des 27, à jamais malheureux. J’ai tout arrêté à temps, parce qu’il m’en restait trop peu
Fuzati, “Dernier portrait” (2014)
Ainsi, une partie des rappeurs idéalisent le club des 27 et l’aura légendaire qui entoure ses membres. L’âge de 27 ans devient une année charnière à partir de laquelle la réussite peut être évaluée. Cette notion d’étape est présente chez Holin qui nous dit dans “Blackout” : “Plus que trois ans pour me faire une place au club des 27”. Visant la reconnaissance éternelle, Lomepal évoque lui aussi le fait de provoquer sa mort dans “Plus de larmes” sorti en 2018, l’année de ses 27 ans : “J’idéalise trop les rockstars, parfois j’ai peur d’vouloir rejoindre le Club des 27” ou plus récemment chez Wallace Cleaver dans le morceau “demain”: “J'me tuerai moi-même à 27 piges / Est-c'qu'un jour je verrai l'éclaircie ?”. Heureusement, la plupart des artistes ne décèdent pas tragiquement à 27 ans. S'ensuit alors une phase de démythification et d’acceptation, comme raconté chez Eden Dillinger.
“Je pensais être du club des 27 mais j’survivrai comme Gloria Gaynor”
Eden Dillinger, Cela aussi passera (2022)
Certains rappeurs développent alors un rejet pour la fin brutale que représente le club des 27 et y privilégie l’envie d’une carrière longue et prospère. On retrouve ces propos chez Kalan ou plus récemment chez Sneazzy qui positive sur sa réussite une fois l’âge fatidique dépassé : “Té-ma la mentale, té-ma le mindset, j’ai trente balais et j’ai plein d’seille / Nique sa mère le club des 27”. Pour entendre ce même avis dit plus vulgairement, on peut tendre l’oreille du côté de Alrima qui nous dit “Rien à battre du club des 27 / Rien que des tapettes”. Enfin, on retrouve chez Loveni un discours qui relativise le poids de l’âge et qui met en avant sa mentalité jeune malgré les années qui passent.
J'essaie d'apprendre de mes erreurs, grandir, c'est dev'nir meilleur. Fuck le club des 27 ! Toujours jeune, je ne vieillis jamais
Loveni, Wassup Wassup (2020)
Le club des moins de 27
Si le vécu d’artistes de rap se rapproche de ceux des légendes du club des 27, c’est malheureusement car des carrières tumultueuses sont tragiquement écourtées. La surconsommation de drogue chez certains artistes est une réalité et c’est notamment ce que nous partage Asuncion dans son morceau “Saoule” : “Est-ce que je ferai partie du club des 27 ? J’sais pas, j'épouse le venin dans les veines”. On retrouve des propos similaires chez Arlk1 qui associe sa mort à l’excès de drogue dans “Le Tombeau des Lucioles” : “Presque sûr de rejoindre le club des 27 vu mon état”.
En effet, si les années 70 ont connu l’avènement des psychotropes récréatifs intégrés à la culture rock, depuis les années 90 un mouvement de banalisation de la consommation de drogues se produit dans la culture hip-hop. L’écosystème du rap a cependant un fléau en plus car à la problématique de la prise de drogue s’ajoute celle de la vente. Si certains rappeurs consommateurs cherchent à s’identifier aux membres du Club des 27, le discours du vendeur clean se retrouve aussi notamment chez 70CL ou plus récemment chez Idris Makazu.
J’laisse le club des 27 à tout ces drogués
Idris Makazu, XII (2021)
À la suite de la tragique réconciliation entre le club des 27 et le rap à la mort de Fredo Santana, son traitement par le genre pose des questions importantes. Outre la gloire éternelle, l’existence de ce club et son héritage traduisent le mal-être dont souffrent certains artistes. À travers ces évocations, on y retrouve tant le besoin de reconnaissance et les envies de légende que l’excès, la consommation de drogue et la volonté de mort. Si ce club funeste ouvre aujourd’hui ses portes aux rappeurs, c’est que les morts prématurées de nos mc préférés ne sont malheureusement que trop courantes. On ne peut que regretter les récentes disparitions tragiques de Mac Miller (26 ans), XXXTentacion (20 ans), Lil Peep (21 ans), Pop Smoke (20 ans) et de tant d’autres partout dans le monde.
Cette douleur bizarre dans le bras gauche. Le club des 27 / La mort est couleur bleu azur
Antha, Néons noires (2019)