Le renouveau du "Let's go"
Après avoir contaminé le RnB des années 2000, le gimmick "let's go" fait un retour fracassant dans le rap fr
2022-04-08
L’influence américaine sur le rap francophone n’est plus à démontrer. Parmi les différentes appropriations linguistiques, la simple phrase let’s go, signifiant littéralement « allons-y », semble traverser les générations. Iconique appel à la fête au début des années 2000, il revient en force dans différentes scènes underground depuis le début des années 2020. Simple effet de mode, gimmick aux multiples sens, ou bien signe porteur d’une certaine vision du rap : cette expression ne cesse de s’inviter chez les artistes du rap FR.
La reprise des codes américains
On retrouve son usage dès les débuts du rap français avec MC Solaar. La première référence que nous avons détectée date de 1994 dans le morceau "A dix de mes disciples" extrait de son célèbre opus Prose Combat. Son utilisation est alors littérale, à la fin du morceau, pour signifier son départ.
Comme on le dit, c'est fini, donc à plus, let's go
MC Solaar pour un test de micro, hasta luego
(MC Solaar, A dix de mes disciples, Prose Combat 1994)
2010 : du RnB au Rap
Si l’emploi de cette expression se fait relativement rare dans les années suivantes, une première vague va la populariser pendant les années 2000. On la retrouve notamment chez des artistes tels que K. Maro ou Tizy Bone (membre du célèbre duo Tragédie), qui l’utilisent alors pour s’adresser à leur DJ, à leurs potes, ou encore aux femmes à qui les chansons en question sont dédiées. Une tendance qui semble directement héritée du rap américain. Le point culminant de ce phénomène se trouve en 2010 avec le titre « Ce matin va être une pure soirée » de Fatal Bazooka où le DJ et rappeur américain Big Ali lance le hit parodique d’un énergique « let’s go ! », et le répète pendant tout le refrain final.
Pendant les années 2010, l’expression "let’s go" est principalement utilisée par des artistes flirtant avec le RnB comme Shy'm ou Swagg man, ou un peu plus tard par Hamza. Elle se retrouve aussi dans les textes de rappeurs aux profils plus divers, tels que Ateyaba ou Despo Rutti. Entre 2010 et 2019, 110 rappeurs ayant utilisé l’expression furent recensés.
2020 : l'explosion du let’s go dans les nouvelles scènes de rap francophones
La rupture apparait en 2020 avec une multiplication par 4 des rappeurs l’utilisant. On peut d’abord expliquer ce phénomène par le retour en force de l’expression chez les rappeurs outre-Atlantique et notamment avec les succès de Travis Scott, Future ou encore DaBaby dont le "letsgo" est devenu un même viral en 2020, contribuant surement davantage à la propagation de la gimmick.
Ces nouvelles scènes vont influencer toute une génération de rappeurs francophones. Fin 2020, une nouvelle génération d’artistes émerge sur la scène nationale après avoir fait ses armes sur soundcloud. On retrouve parmi eux Khali, J9ueve, ou encore La Fève. Inspirés autant par le rap francophone que par son cousin américain, ces artistes vont se réapproprier l’expression allant jusqu’à en faire un signe distinctif renforçant leurs identités. L'une des dates marquantes de ce mouvement est la sortie le 25 septembre 2020 de l’EP « KOLAF » de La Fève produit par le beatmaker marseillais Kosei, dans lequel le rappeur va largement utiliser la gimmick (légèrement remixé en "lessgo") participant ainsi à le remettre au goût du jour.
Mais le retour du "let’s go" ne se limite pas uniquement à ces artistes. A cette période la gimmick est présente chez de plus en plus de rappeurs. On la retrouve chez Loveni, Benjamin Epps, Alpha Wann ou encore Nekfeu pour lancer ou terminer des morceaux, mais aussi comme ad lib d’ambiance permettant d’appuyer les punchlines. Toujours chez Alpha Wann, ou encore EDGE, Esso Luxueux, ou Ratu$, il est aussi enrichi sous la forme du "let’s git", contraction de "let’s get it" qui signifie littéralement "faisons-le" "allons le chercher". Cette formule finit par être détournée pour devenir « letsguil ».
Si j'dis "let's go", crie "let's get it"
"RPTG", c'est la gimmick
(Alpha Wann, APDL, don dada mixtap vol 1, 2020)
Par ailleurs, l’emploi du let’s go se retrouve aussi fortement dans la plugg music et ses courants dérivés. La gimmick y est fortement utilisée car de nombreux artistes anglicisent leur texte. Certains sont nourris d’un métissage culturel franco-américain comme le québécois Rowjay, quand d’autres ouvrent les sonorités de leur musique à l’internationale comme pour 8Ruki ou Azur.
Un cri d'indépendance ?
Les rappeurs qui emploient fréquemment let’s go sont aujourd'hui particulièrement prolifiques. Ils se développent en relative indépendance vis-à-vis de l’industrie musicale. Ces éléments ne sont pas anodins : l’emploi de cette expression et de ses dérivés semble exprimer leur détermination. L’indépendance est ainsi textuellement revendiquée et liée au "let’s go"
Lets go, Big cash pull up sur ces négros straight
Moi j’suis pas v’nu pour sign mec
(thaHomey, BIG BEN, Trillistick, 2021)
La force du let’s go, contrairement à certains termes populaires du rap comme Kichta, Skurt, ou Bendo, est que l'expression n’appartient pas uniquement à l’univers rap mais bien à toute la pop culture. C’est pourquoi on la voit éclore un peu partout en ce moment, dans la bouche de certains vidéastes sur Youtube ou Twitch notamment.
S/o tous les gars qui font les bails dans les studios
C'est nous la nouvelle génération, on va l'faire, let's go »
(La Fève, No Hook, ERRR, 2021)