Le chef-d'œuvre de Peter Weir, paru en 1998, est encore aujourd’hui une référence pour les rappeurs, questionnant notre relation à la réalité ainsi qu’à notre libre arbitre.
Truman Burbank, interprété par Jim Carrey, est depuis sa naissance le protagoniste d’un show à son nom, bien qu’il n’en soit pas au courant. Toute sa vie se passe entourée d’acteurs et de mises en scènes au sein d’une copie utopique de notre monde. Entre placements de produits douteux et dialogues absurdes, le personnage se questionne graduellement sur la supercherie qui l’entoure.
De nombreux rappeurs s’approprient régulièrement les questionnements philosophiques et politiques du film en liant leur vision de la réalité à celle du personnage principal. À l’analyse des citations de rap français faites au Truman Show, nous remarquons un sentiment de doute chez certains artistes concernant notre rôle d’individu au sein de notre société. Car comme si bien exprimé dans le film, « Nous acceptons la réalité du monde tel qu'il nous est présenté. C'est aussi simple que ça ».
L’emprisonnement de Truman
Lorsque les rappeurs parlent de leur vie, certains décident de l’embellir tandis que d’autres évoquent le sentiment d’être prisonnier dans leur quotidien. Qu’il s’agisse de leur situation financière, d’accomplissement personnel ou autre, le rap peut offrir une certaine délivrance à leur réalité. Certains défendent le fait que nous sommes tous le personnage principal de notre aventure, tous impactés ou immobilisés par les divers obstacles de la vie.
J'vis dans un genre de Truman Show comme un homme en cage
Jean Jass, Truman Show ft Jazzy Bazz, 2022
Sans en être conscient, Truman est coincé dans un monde illusoire qui l’enferme dans un quotidien très redondant. C’est cette répétition qui va pousser le personnage à désirer plus et à vouloir s’émanciper de sa vie factice par soif d’aventure. Peter Weir démontre à travers la fin du film que la conviction personnelle dépasse l’inhibition si l’on s’y tient.
J'me sens comme Truman, le système nous intègre dans son plan séquence
Lord esperanza, L’insolence des élus, 2017
Contrôle sur la ville
Pouvons-nous aller ailleurs sans que cela ne se sache? Est-ce que “Big Brother” nous surveille vraiment ou en a-t-il seulement l’opportunité? Ces questionnements, tirés tout droit d’un roman de Georges Orwell, restent légitimes de nos jours. Différents rappeurs dénoncent ainsi la banalité d’être filmé de manière quasi-permanente.
On est filmés comme Truman, les rues r'ssemblent à des couloirs
Hugo TSR, Là-haut, 2016
Pour d’autres artistes, ce sentiment d’observation ne provient pas de la surveillance gouvernementale mais plutôt de leur notoriété, parfois dure à supporter. Leur relation avec la société est biaisée par la célébrité, ce qui influence le regard porté sur eux ainsi que leur façon d’interagir au quotidien. Ce sentiment d’observation constante crée chez l’artiste l’obligation d’enfiler un masque, une attitude lui permettant de se protéger et de répondre aux attentes des observateurs. À travers le personnage de Truman, le film, comme les rappeurs qui s’en inspirent, évoque l’idée qu’il est plus facile d’agir en fonction des expectatives d’autrui plutôt qu’en suivant son libre-arbitre, afin d’être socialement accepté.
Parano, autour de moi, trop d'caméras, j'me sens comme Jim Carrey dans The Truman Show (han)
Salek, Plus la peine, 2021
Vivre dans le paraître
L‘idée de façonner son quotidien afin d’en ressortir plus attrayant aux yeux des observateurs, est exposée par les rappeurs qui ne partagent pas cette mentalité. Comme dans l’œuvre de Peter Weir, vivre à travers le regard des autres en ne laissant transparaître qu’une réalité embellie s’apparente à mener une vie fictive. Pour trouver la vérité, il faut alors sortir du confort de l’utopie et accepter le monde sous tous ses aspects.
Tout l'monde est beau, la vie est belle, le Truman Show sur toutes les chaines
Lujipeka, Putain d’époque, 2020
L’univers dans lequel vit Truman n’est qu’une pâle copie du monde réel imaginée par le réalisateur du show. Ce monde artificiel est une reproduction bien plus joyeuse et insouciante de notre société, permettant au metteur en scène de retenir l’attention du téléspectateur tout en conservant l’innocence du personnage principal.
Si ce désir de révéler uniquement la beauté du quotidien afin d’attirer les regards et de diriger l’opinion du public peut nous sembler très anodin de nos jours, le film se révèle précurseur dans son traitement de cette notion à la fin du 20e siècle. Le film aborde des concepts qui prendront une tout autre ampleur au 21e siècle, du voyeurisme de la télé-réalité, qui se popularise au début des années 2000, au principe du paraître lié à l’arrivée plus tardive des réseaux sociaux.
Le rap utilise le Truman Show pour questionner les rapports sociaux ainsi que le choix et les conséquences d’une vie certes ingénue mais dénuée de réflexion. Une grande partie du rap français soutient les nombreux messages portés par le film, et ce depuis la première référence recensée, en 2006 au micro de la Sexion d’Assaut :
C'est l'Truman Show, dans l'trou j'me trouve et dans l'tié-quar bah rien qu'ça chauffe
Sexion d’Assaut, Ici, (2006)
🖊️ Rédigé par Valerio Mourissoux
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