Les instrumentistes du rap fr
Sofiane Pamart, Ibrahim Maalouf ou Jimmy Sax, comment ces musiciens changent le visage du rap
2022-03-15
En constante évolution, les instrumentales de rap telles que nous les connaissons aujourd’hui ne se résument désormais plus seulement aux samples, aux percussions et au scratch. En quête de diversité, les producteurs s’inspirent de tous les styles dans leur création et font même appel parfois directement à des instrumentistes pour enrichir leurs morceaux. Intéressons-nous dans cet article à certains de ces musiciens et à leur apport dans le rap francophone.
Les instruments à cordes, un gain en émotion
Commençons notre panorama par le plus connu des musiciens du rap, Sofiane Pamart. Avec plus de 70 placements, le pianiste lillois est LA référence actuelle quand on parle d’instruments de musique dans le rap. Grâce à ses collaborations nombreuses et variées, de Laylow à Koba LaD, en passant par Médine et Vald, tout auditeur de rap a vu son nom passé au moins une fois. Scylla, un artiste belge qui a travaillé avec lui sur deux albums, confiait en 2019 au média Backparckerz :
“JE ME SOUVIENS DE MOMENTS OÙ ON CHERCHAIT UN TRUC DANS UNE PIÈCE ET LÀ, J’AI UNE ÉMOTION QUI NAÎT EN MOI ET SANS QUE J’EN PARLE ENCORE, IL A DÉJÀ COUCHÉ SUR SON PIANO CETTE ÉMOTION”.
C’est sans doute cette sensibilité et cette facilité de création qui font le succès du pianiste dans le milieu rap.
Le rap et le piano, c’est une histoire qui dure. L’instrument est présent dès les débuts du mouvement, associé au rap conscient et introspectif. Pourtant, il n’est pas le seul à pouvoir apporter ce surplus d’âme aux textes. C’est aussi le cas des ensembles de chambre, à savoir violons, altos, violoncelles et contrebasses. Le musicien PH Trigano, qui a participé à la réalisation de “Avant la nuit”, le dernier album de l’Or du Commun, expliquait que la présence de violonistes sur trois des quatorze titres apporte de l’authenticité au projet qui ne se ressentirait pas avec l’utilisation d’instruments à cordes issus de banques de sons virtuels. Sur “Alunissons” et "À la base”, Nekfeu a également fait appel à un groupe de chambre japonais. En plus de l’émotion et de la légèreté qui émanent de ces notes acoustiques, l’arrangement des violons accentue cette sensation de voyage musical.
Pour l'anecdote, Koichiro Muroya Strings, le groupe présent sur l’album de Nekfeu, a participé à la bande originale de nombreux animés comme l’Attaque des Titans ou à des jeux vidéo tels que Final Fantasy, pour ne citer qu’eux. Cela soulève un autre point important de la contribution de musiciens : l’image qu’ils reflètent. Dans le cas de Nekfeu, qui ne cache pas les références aux mangas dans ses textes, faire appel à cet orchestre était un clin d'œil supplémentaire à cette culture japonaise. Parmi tant d’autres, nous pouvons citer également Disiz qui a fait appel à l’ensemble Missia Orchestra pour son album “Pacifique”, en particulier sur le titre“ADN”.
Il existe également plusieurs rappeurs musiciens. Sopico en est l’exemple parfait. Sur son dernier album “Nuages”, la présence de la guitare sur 12 titres (tous les titres hormis les 3 interludes) apporte sincérité et sensibilité aux paroles. La guitare est tellement ancrée en lui qu’elle est mise en avant sur la majorité de ses clips. On peut noter également A2H, autre rappeur guitariste, qui a sorti un EP en 2020 reprenant 6 de ses titres en version acoustique : “Unplugged (Live at AKStudios)”.
Les cuivres, énergie et jazz
Les instruments n’apportent pas que de l’émotion au sens mélancolique. Les cuivres par exemple peuvent amener une forme d’énergie aux instrumentales. D’ailleurs du fait de l’utilisation de samples jazz au commencement du hip-hop, le saxophone est encore aujourd’hui très important dans la culture rap. Il n’est plus employé de la même manière, mais semble être le cuivre numéro 1 du rap. Le boss du saxo game est évidemment Jimmy Sax avec ses trois collaborations avec Jul. Citons également deux saxophonistes belges, Dieter Limbourg, qui joue sur le titre “Σ.Morose” de Damso, et Ferdi qui a déjà dix placements dans le rap francophone dont huit avec le bruxellois Peet. Nous retrouvons aussi ce dernier sur une prod plus douce, presque sensuelle : “Pornstar Martini” de MadeInParis ft. Luidji.
Luidji semble apprécier la présence de cuivres dans ses sons puisque nous retrouvons de la trompette sur le morceau “Gisèle, Part.4”. Il s’agit du trompettiste Béesau, qui a également joué pour Ichon et a invité Primero sur son dernier projet acoustique. Sur ce son de Luidji, la trompette se marie à l’ambiance bossa nova du titre. La force du trompettiste est de pouvoir accompagner le rappeur comme s’il appuyait ses propos, en imitant des backs à l’aide de notes courtes. On oublie que la voix de Luidji est absente sur l’outro, la trompette de Béesau résonne presque comme des paroles. Comme le disait Erik Truffaz, un immense jazzman contemporain :
“LA TROMPETTE EST L’INSTRUMENT QUI EST LE PLUS PROCHE DE LA VOIX”.
Terminons notre tour d’horizon par un autre jazzman actuel incontournable, Ibrahim Maalouf. Le trompettiste libanais a déjà collaboré avec Disiz et Jok’Air, mais il est surtout connu pour son album commun “Au pays d’Alice” avec Oxmo Puccino. Accompagné des chœurs de Radio France, d’un orchestre classique et de ses musiciens, Ibrahim Maalouf a créé toute une œuvre inspirée du roman de Lewis Carroll "Alice au pays des merveilles". Ce projet est un exemple parfait de crossover entre plusieurs styles musicaux : du jazz au classique en passant par le rock tout en gardant le rap comme fil conducteur. D’ailleurs, ce n’est pas le seul. Depuis 2016 sous l’impulsion de Mouv', l'ADAMI, et Issam Krimi, plusieurs artistes dont SCH, Chilla, Sofiane, Ninho notamment, ont pu être accompagnés par l’orchestre philharmonique de Radio France lors de concerts “Hip-Hop Symphonique". Collaborer et s’entourer de musiciens permet aux rappeurs de cibler un public différent, plus large et donc de s’ouvrir à de potentiels nouveaux auditeurs.
Évidemment, nous n’avons pas listé tous les musiciens présents dans le rap game, déjà parce qu’il y en a plus que ce que l’on pourrait le croire et puis, fait regrettable, ils ne sont pas toujours crédités et reconnus à leur juste valeur. Pourtant, c’est une tendance qui semble s’accentuer : les rappeurs sont de plus en plus accompagnés sur scène par des musiciens et pas uniquement par un seul DJ. Les albums et versions acoustiques sont également davantage répandus. Cela se ressent également parmi la scène émergente. Chanceko par exemple qui propose une version symphonique de son titre “Elvis” et qui a réalisé une performance acoustique lors de son Grünt d’Or avec un ensemble original composé d’un piano, d’une batterie, d’un saxophone baryton en guise de basse, d’un handpan et d’un kora ; ou bien encore La Fève qui s’est offert les services du saxophoniste Jead sur les titres “L’Appel” et “Zombie”. Enfin, pour boucler la boucle, nous avons eu le plaisir de retrouver Sofiane Pamart le 30 mars dernier sur le projet d’un autre rookie : JMK$.