Les rappeurs sont-ils écolos ?

En 1991, le rap devait confronter la jeunesse à sa réalité, mais malgré l'éco-anxiété actuelle, l'écologie reste marginale dans le rap

2024-06-06

Rap FR

En 1991, on nous a dit que le rap était là pour leur faire regarder leur jeunesse dans les yeux. Mais aujourd’hui, alors que près de six jeunes sur dix déclarent souffrir d’éco-anxiété, cette crainte paralysante pour l’avenir de notre planète et ses conséquences sur notre espèce, l’écologie semble encore n’être qu’une préoccupation lointaine pour la plupart des artistes rap. Du moins à première vue. En ce 5 juin, journée mondiale de l’environnement, essayons de comprendre, grâce aux datas, d’où vient ce décalage.

Produits de leur environnement

Si leurs audiences et leur influence font des rappeurs et rappeuses des personnes écoutées, dont la voix peut mobiliser les foules, ils ne peuvent être sur tous les fronts. Comme chacun d’entre-nous, les problèmes les touchant le plus sont ceux qu’ils peuvent voir depuis leur fenêtre. Dans un genre musical où la figure du bandit tragique et les symboles de masculinité traditionnelles restent des lieux communs largement utilisés, les dommages à l’environnement cèdent la place aux ravages de l’environnement direct. Celui qui conditionne, qui oblige à faire le mal et à s’endurcir. Il est la rue pour certains, une famille dysfonctionnelle pour d’autres, pour ne citer que quelques-uns de ses visages. Mais sous toutes ses formes, une chose est sûre : les artistes rap sont des produits de leur environnement, et le crient haut et fort. 

Album "D'ou je viens" de Mac Tyer d'ou est issu le titre "Produit de mon environnement"
Js'uis l'résultat d'mon environnement,
c'est moi l'évolution d'un gars d'la street, bang, bang

- Zamdane - Incomplet comme férvier (2022)

Cette idée n’est pas nouvelle, Hippocrate l’évoquait déjà en parlant de santé, Rousseau en parlant de culture et Marx de conditions socio-économiques. Dans le rap, si la formule apparaît pour la première fois en 1995, c’est Mac Tyer qui la popularise en 2008 grâce au morceau éponyme. Son usage a été multiplié par 3 depuis sa sortie.  L’idée que les problèmes à résoudre en premier-lieu sont ceux qui nous entourent est si présente que sur les 426 fois où le rap français a utilisé le mot environnement, seul 17 d’entre-elles font référence à l’écosystème.

J'suis l'produit d'mon environnement, comme Mac Tyer

- Vald - L.D.S (2017)

Une certaine tendance se démarque néanmoins : hormis les rappeurs du début des années 90, chez qui l’engagement politique était part intégrante de leur musique, et les altermondialistes comme Keny Arkana, les artistes évoquant les ravages de la pollution sont généralement issus de la classe moyenne. Nous ne nous permettrions pas de sous-entendre qu’Orelsan ou Lord Esperanza n’ont jamais rencontré de difficultés dans leur vie, mais force est de constater qu’un environnement dans lequel remplir le frigo n’est pas la priorité permet aux rappeurs de se mobiliser pour la cause.

C'est ma chanson préférée, ça parle de tuer des gens, d'un type qui trafique la mort pour s'acheter des jantes,
Pour un SUV qui consomme énormément, pendant qu'la pollution fait quatre millions d'morts par an

- Orlesan - Baise le monde (2021)


Confiance en personne

Une autre constante dans les textes des artistes rap est leur manque absolu de confiance en la classe politique. Jugés déconnectés, à la solde des puissants du monde, égoïstes et corrompus, quand ils ne sont pas assoiffés de sang, la figure du politicien est régulièrement antagonisée. Ils sont le eux contre le nous. SCH nous l’a encore récemment rappelé dans Cannelloni, extrait de JVLIUS prequel, quand au détour d’un refrain son personnage de mafieux déclare être l’même pourri qu’les politicards.

Alors forcément, les écologistes en font aussi les frais, ce qui ne risque pas de pousser les rappeurs à s’engager à leurs côtés. Nicolas Hulot, de loin le plus cité, est régulièrement traité d’hypocrite dans les textes des rappeurs pour les dissonances, réelles ou supposées, entre ses convictions et son mode de vie : Empty7 veut le biff de Kanye, de Nicolas Hulot tandis qu’El Matador se contente de vouloir Rouler en gros4x4 comme Nicolas Hulot.

Vos stars n'sont pas les miennes on me bluffe pas à coup d'Hulot

- Rockin’Squat - L’undaground s’exprime 7 (2013)

À l’inverse, les militants écologiques semblent relativement appréciés. Greta Thunberg, citée près de 40 fois depuis 2020, est appréciée pour son toupet chez JeanJass sur GOJJ et utilisée pour remettre au goût du jour le classique Gravé dans la roche chez Soprano sur Un peu plus près des stades

Des problèmes de rappeurs

Et puis, surtout, il y a l’attrait de la punchline. Le rap est art du mot, et être impactant et divertissant reste des impératifs pour quiconque souhaite s’y imposer. Alors dans un monde où les odes aux possessions matérielles et à la vente de drogue se déclinent sur les rythmiques d’une trap sombre, la fin du monde devient une esthétique dans laquelle les grosses voitures côtoient les références à la verte, et nombreuses sont les façons de détourner la lutte écologique.

Le réchauffement climatique, c'est dû à la chatte à ta mère, avec l'effet de serre

- Booba - BB(2018)

Mais en parler, peu importe la façon, reste en parler. La longévité du rap se trouve aussi dans sa capacité à s’adapter aux changements du monde. Les consciences s’éveillent et les initiatives de rappeurs en faveur de l’environnement se multiplient. Nous ne pouvons que nous en réjouir, parce qu’en termes écologiques, demain n’est pas si loin

✍️ Écrit par Victor Tonon
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