Rap et Extrême Droite : L'Évolution d'un Combat

Exploration de l'évolution des mentions de l'extrême droite dans le rap français, de Jean-Marie Le Pen à Jordan Bardella.

2024-06-16

Rap FR

La percée du Rassemblement National (RN) lors des dernières élections européennes et la récente dissolution de l'Assemblée Nationale ont provoqué un remous politique en France. En réponse, plusieurs mouvements de gauche se sont unis pour contrer la montée de l'extrême droite. Mais qu'en est-il du rap français ? Comment ce genre musical a-t-il évolué dans son engagement contre l'extrême droite ?

Une Dépolitisation progressive

Dans les années 90-2000, le rap français était intrinsèquement politisé, souvent lié à ses origines dans les banlieues défavorisées. Les artistes exprimaient le malaise des jeunes face à une société qui les marginalisait. Des groupes comme IAM et NTM dénonçaient déjà les injustices sociales et le racisme, et par extension le Front National. Les responsables du parti étaient alors régulièrement ciblés

"C'est clair et net, la démonstration est faiteDix pour cent pour Le Pen aux élections, c'est une défaite"

NTM - Blanc & Noir - 1991

"Je me sers de mon micro comme je me servirai d'un uziPour éliminer le FN Le Pen et tous les fachos à Paris"

Raggasonic - Bleu Blanc Rouge - 1995

"Hardcore, est la grimpée en flèche du FNHardcore, sont les propos extrêmes de ce bâtard de Le Pen"

Kery James - Hardcore - 1998

Au cours des vingt années suivantes, le rap français a connu une dépolitisation croissante, culminant dans la deuxième moitié des années 2010. Alors que la confiance des jeunes générations envers les partis politiques diminuait, avec un taux d'abstention chez les moins de 25 ans atteignant 75 % lors des dernières législatives, les jeunes rappeurs sont devenus, consciemment ou non, leurs porte-parole. Leurs textes sont devenus de moins en moins engagés, marquant une absence globale de prise de position sur les sujets brûlants.

Évolution de la proportion de morceaux avec une référence aux têtes du RN

Le graphique ci-dessus illustre de manière saisissante l'évolution des mentions des principales figures de l'extrême droite française dans le rap depuis le début des années 2000. On observe que Jean-Marie Le Pen dominait les références dans les paroles des artistes au début des années 2000, culminant entre 2005 et 2010 avant de chuter drastiquement. Cette tendance reflète son retrait progressif de la scène politique au profit de sa fille, Marine Le Pen, dont la présence dans les textes de rap a crû de manière significative à partir de 2010, atteignant des sommets autour de 2015, période correspondant à ses campagnes électorales.

Nouvelles générations, nouveaux adversaires

En 2024, les adversaires d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Le Front National s’est mué en Rassemblement national, et la stratégie de dédiabolisation du parti a amené de nouveaux leaders sur la scène médiatique, dont un certain Jordan Bardella. À partir de 2018, on observe une légère augmentation de ses mentions, coïncidant avec sa nomination en tant que porte-parole du parti puis son ascension en tant que député européen et président par intérim du Rassemblement National en 2021.

"Ma génération va être obligée d'se coltiner Bardella
J'comprends pas pourquoi personne a flingué Jean-Marie Le Pen avant

Nobodylikesbirdie - Vrai Gars Dans Mes Shoes - 2024

"Si c'est une traître, écarte-toi, si elle est loyale, garde-la
De toute façon, on s'barre de là, si passe Jordan Bardella (Okay)"

404Billy - Rutt’s - 2023

Cette émergence tardive dans le rap souligne comment Bardella commence seulement à s'imposer comme une figure notable de l'extrême droite française, influençant progressivement le discours dans ce genre musical. D’autres acteurs ont également émergé à l'extrême droite, à l’instar d’Éric Zemmour, passé du journalisme à la politique en lançant son mouvement : “Reconquête”. Ce sont naturellement ces nouvelles figures de l’extrême droite qui sont désormais prises pour cible par les rappeurs. Même si les occurrences de Le Pen ont largement diminué, elles n’ont pas totalement disparu, notamment via l’une des cadettes de la famille, Marion-Maréchal, tête de liste d’Éric Zemmour lors des dernières élections européennes.

"C'est Gilbert Collard en croisade contre l'Islam
Leur Marion Maréchal qui nous mènera au drame"

1984 - Le bruit des bottes - 2013

Fuck un Zemmour, Fuck un Lepen
Baise les fafs mon nom de domaine

Costa - Tactique - 2023

Il y a quelques mois, dans l’émission “Le Code” animée par Medhi Maizi (l’émission d’interview n°1 du genre), le rappeur Sean a déclaré : "nique un facho, je veux être clair sur ça". Une déclaration qui fait écho à un titre de son album et qui a été largement relayée sur les réseaux sociaux. À tel point qu’on a vu fleurir des articles sur un potentiel “retour du rap conscient” chez la nouvelle génération. Il est vrai que Sean n’est pas le seul à avoir pris position récemment contre l'extrême droite. Dans le même style, H Jeune Crack ou ARTR, deux artistes, ont affirmé clairement leur position à l’encontre de l'extrême droite.

"Tu peux pas écouter du rap et être un partisan d'la droite
Je t'arrête une minute, j'suis pas un porte-parole, j'suis juste un poil éveillé"

ARTR - A l’aise à l’oral - 2024

"La France a.k.a Racistan
En c'moment, c'est grave glissant
Fiches S et discours fascisant"

H Jeune Crack - Catennacio - 2024

Il est intéressant de noter que tous les rappeurs ne partagent pas cette orientation politique. Et malgré la punchline d’ARTR, ces dernières années, des rappeurs dits “de droite” ont émergé, à l’instar de Kroc Blanc ou Millésime K. Leurs thèmes se concentrent autour du patriotisme en défendant un idéal nationaliste et blanc en France. Cela montre la diversité des opinions au sein de la communauté rap et souligne que le genre, tout en étant majoritairement contestataire, n'est pas monolithique.

✍️ Écrit par Jules Dubernard
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