Rap & Sobriété : Ça va ensemble ?
La consommation de substances, plus ou moins licites, est une thématique récurrente des artistes torturé.e.s de tout âge. On a analysé ce que le rap pense de la sobriété
2023-04-16
⚠️ Nous rappelons à notre audience que cet article n'a pas pour but de banaliser ou de promouvoir la consommation de drogues. Nous cherchons à analyser et à comprendre des phénomènes culturels liés au rap francophone, non à encourager de telles pratiques. Notre objectif est d'informer et de sensibiliser aux réalités sociales sans cautionner pour autant des comportements dangereux ou illégaux.
Le mois de janvier est déjà loin et les bonnes résolutions sont pour beaucoup un lointain souvenir, le mode de vie sain avec. La tête prise dans un étau et le verre pétillant de Doliprane au lendemain du Nouvel An, on s’est vu prononcer des promesses ambitieuses pour 2023 du genre « promis cette année j’arrête …» (complétez par votre vice préféré).
On s’est même lancé des défis comme le « Dry January » pour être sûrs de se tenir à carreau et éponger l’excès de fêtes, le tout avec des résultats variables. Pas de jugement ici, si vous n’avez pas tenu vos engagements il vous reste encore le reste de l’année pour vous rattraper, pour ça on a miné les meilleures punchlines pour vous motiver
La consommation de substances, plus ou moins licites, est une thématique récurrente des artistes torturé.e.s de tout âge -Baudelaire ou Hemingway ne vous diront pas le contraire- et on comprend logiquement que le sujet se retrouve aussi dans le rap. Que ce soit pour déclencher son génie créatif, échapper à son quotidien difficile, ouvrir « les portes de la perception » ou plus simplement profiter en soirées ; les appels des « paradis artificiels » sont nombreux et dans ce contexte, difficile de ne pas céder à la tentation. Les habitudes de consommation des rappeur.euse.s tout comme leurs élixirs de prédilection ont déjà fait couler beaucoup d’encre, alors on ne va pas s’y attarder ici et s’intéresser plutôt à ce que le rap pense de la sobriété.
Arrêter la fume pour les fumer ?
Parmi les sources de motivation qu’on retrouve dans les textes de rap, l’abus et les addictions seraient un frein à la créativité et il faudrait garder l’esprit le plus clair possible pour parfaire son art de la rime. Même si c’est de manière temporaire, le rap demande beaucoup de concentration alors que ce soit pour écrire son meilleur texte ou négocier ses contrats, mieux vaut garder l’esprit le moins embrumé possible.
« La sobriété, le ventre plein, les couilles vides, c’est mieux pour rapper »
Alpha Wann, Ça va ensemble (2018)
« J'suis toujours propre, toujours sobre quand je négocie »
Dosseh, Gorbatchev (2019)
« T'étais bourré, qu'moi j'étais sobre (J'encaisse, pay-day) »
SCH, Day Date (2017)
Quand on voit la qualité de découpage des artistes concernés, ça donnerait presque envie de s’y mettre, surtout si vos rimes grattées en fin de soirée n’ont bizarrement plus le même charme le lendemain...
Sofiane s'est même exprimé à ce sujet dans son interview dans Le Code avec Mehdi Maïzi en 2021, 3 ans après avoir arrêté de boire et fumer :
« Quand tu te mets à produire des mecs, le mec dans un sens il te confie sa vie, pour trois albums, pour quatre ans, pour cinq ans [...] Et ce mec là qui me confie sa vie, il peut pas me voir bourré. [...] Y'en a un qui m'a fait cette reflexion une fois, j'avais allumé un bédo devant lui, il m'a dit "Tu fumes frère ??" [...] Il m'a dit "Frérot faut que t'aies l'esprit clair". Je lui fais une dédicace d'ailleurs, c'était Kofs »
Bien que cette image de rappeur.euse sobre soit loin d’être la plus répandue dans le rap, affirmer sa sobriété, au détour d’une rime ou sur le plus long terme, serait donc un moyen d’exprimer sa détermination, son sérieux dans le business mais aussi ses ambitions pour l’avenir.
« Grandir c’est dur,
Remplir le frigo, arrêter la fume »
A2H, Grandis un peu (2016)
Du bon conseil au mantra
Quand les rappeur.euse.s font l’éloge de la sobriété dans leurs sons, pas besoin de passer par quatre chemins pour que l’auditoire reçoive le message cinq sur cinq. Et ce, que ce soit pour nous mettre face à nos démons ou pour confronter les leurs.
« Si tu dis souvent qu’t’as pas d’problème avec l’alcool, c’est qu’t’en as un (simple) »
Orelsan, Basique (2017)
« Tu te noies dans l'alcool, moi, je faisais de même,
Est-ce que, dans ta tombe, t'assumeras les rres-ve ? »
Nekfeu, Mauvaise Graine (2016)
A chacun son poison, à chacun.e son remède puisque certain.e (re)trouvent de nouveaux nectars de prédilections, allant de la simple H2O pour Deen Burbigo au lait bio pour Lartiste. Et pour soigner vos insomnies, on vous conseille même les documentaires sur l’univers, d’après Nekfeu ça suffirait pour voir fluo.
« Arrête l’alcool, mets-toi au lait bio »
DJ Abdel Ft BimBim, Lartiste, Mister You, Marrakech Very Bad Trip (2015)
Plus sérieusement, ce que les datas soulèvent c’est que les mots « arrêter de fumer/ de boire » sont souvent associés aux verbes “falloir” (« il faut que », « il faudrait que ») ou “devoir”, ce qui révèle une envie de maîtriser sa consommation, plus qu’un état de fait accompli. Ce qu’on retrouve par exemple dans le texte « Prière » de Ziak ou l’artiste répète son intention 17 fois au cours du morceau.
« J'dois arrêter la tise, arrêter la fume, m'remettre à la prière (prie) »
Ziak, Prière (2021)
Sombre sobriété
On ne va pas vous mentir, sur les près de 600 déclinaisons de rimes en « sobre », l’immense majorité d’entre elles sont marquées par l’idée que leurs auteur.ice.s ne le seront « pas », voire « jamais ». Donc si ça peut vous rassurer, les artistes aussi ont du mal à tenir leurs résolutions, surtout quand la volonté n’est pas sincèrement présente.
« Oh, Jésus de Nazareth, tous les jours, je fume, j'me dis : "Demain, j'arrête" (Sale) »
Niska, Réseaux (2017)
« Arrêter le shit, j’le fais sans arrêt (sans arrêt) »
Vald, Rappeur conscient (2022)
Ce que ce qu’on observe dans ces données, c’est que le mot « sobre » va généralement de pair avec son allitération « sombre ».
Loin d’être une simple formule stylistique, le couple « sombre » / « sobre », qui revient dans une centaine de punchlines, traduit la manière dont les addictions deviennent vitales pour échapper à soi-même et à sa réalité.
On le comprend notamment sous la plume d’artistes comme Damso dans les morceaux « Peur d’être sobre » et « Brouillard » où il exprime cette peur de perdre ses échappatoires, ce qui l’obligerait à se confronter à un quotidien trop difficile sans le pouvoir calmant des drogues.
« Absorbé par une drogue absurde, j’pense qu’à fuir le monde,
Sur les ondes j’me réfugie, j’pense qu’au fond j’ai peur d’être sobre ».
Damso, Peur d’être sobre (2016)
« Dans le brouillard, je vais nulle part, j’fume un pétard, par peur de trouver la sobriété »
Damso, Brouillard (2012)
Outre l’âpreté d’un monde dont on cherche à s’extirper, il y a aussi le fait qu’on peut rapidement se trouver happé dans un rythme où s’enchaînent les sorties à répétition, et les tentations qui vont avec. Difficile alors de rester clean, à nouveau, si on n’a pas un objectif précis en tête, d’autant plus dans un contexte de groupe où tout le monde consomme.
« Cachés dans les coins sombres, coincés hors des lieux sobres »
Lunatic ft. Mala, Hommes de l’Ombre (2000)
« C'est dur d'être le seul sobre, plus dur que d'être le seul saoul »
Deen Burbigo, OJIISAMA (2021)
Une question d’intention ?
On peut peut-être se dire qu’au fond, rester sobre part d’abord d’une volonté ou d’un objectif, qu’on se répète pour le renouveler autant de fois que nécessaire, à supposer qu’on ait analysé l’origine de l’addiction pour que la fête ne devienne pas trop sombre.
En tout cas, quelles que soient vos envies, vos motivations et les punchlines qui vous parlent, on vous souhaite d’être toujours aussi accros au rap en 2023 et de prendre soin de vous.