Trois lettres suffisent
Simples, efficaces et facilement mémorisables, ces trios sont presque devenus des logos incontournables dans le paysage rap. Petite explication de ce qui fait le succès de cette « règle de trois ».
2023-01-03
NTM, IAM, LIM, SCH, MHD, PNL, PLK, JUL, ZKR… À voir ces noms côtes à côtes, c’est à se demander si adopter un blaze en trois lettres ne serait pas la recette miracle pour s’imposer dans le rap. Simples, efficaces et facilement mémorisables, ces trios sont presque devenus des logos incontournables dans le paysage rap. Petite explication de ce qui fait le succès de cette « règle de trois ».
D’abord, commençons par revoir les bases. Parmi ces noms en trois lettres on distingue deux catégories ; ceux qui se lisent comme des mots ordinaires – comme JUL ou Oli – et les sigles où on prononce chaque lettre séparément – n’essayez pas de lire SCH comme un mot, ça ne sonne pas très bien et les gens vous regarderont bizarrement.
Nous c’est les mecs à trois lettres fils de timp
SCH, SlowMo (2017)
De simple diminutif ...
Le choix d’un nom raccourci peut s’expliquer par plusieurs raisons et cache différentes significations, voici quelques exemples parmi les plus de 100 variations que compte le rap aujourd’hui :
Il peut tout simplement s’agir du diminutif, parfois stylisé, du prénom de l’artiste ; c’est le cas de MHD qui a tout simplement pris trois lettres de son prénom Mohamed. Devenu le signe de mains le plus simple à réaliser de toute la scène rap, JUL est le diminutif de Julien et reste plus en tête que son premier nom de scène, Juliano135. C’est la même chose pour Salim qui raccourcit son prénom pour créer le blaze LIM ou pour Zacharya qu’on connaît mieux sous le sigle ZKR. Dans certains cas, le sigle fait référence au nom complet ou au nom de famille du rappeur ; on pense par exemple à SCH dont les initiales sont à la fois le diminutif de son nom de famille Schwarzer et de son premier nom de scène Schneider. On fait dans la simplicité aussi dans le cas de MRC qui reprend les initiales de son nom complet Muhammed Raşit Çil. D’autres peuvent évoquer les origines de l’artiste comme l’a fait PLK, dont le blaze est une contraction de « polak », terme péjoratif pour désigner les polonais.
Jeune demoiselle connaît pas Mohamed, elle veut MHD
MHD, XIX (2018)
… À des sigles plus cryptiques
Pour les plus mystérieux, les initiales forment un code réservé aux initié.e.s, parfois difficile à déchiffrer. Si on sait lire les plus connus comme NTM (Nique ta Mère) ou PNL (Peace N’Lovés), Certains sont parfois tellement cryptiques que les interprétations varient comme c’est le cas pour le TSR Crew dont les initiales pourraient tout aussi bien dire « Tise Shit (et) Rap », « Tuerie Sur la Rythmique » ou encore « Toujours Sur les Rails ». De même, certains sigles changent de sens au fil du temps comme IAM, qui à l’origine fait référence au slogan historique du mouvement pour les droits civiques « I am a Man » avant de se voir décliné sous plusieurs formes : « Imperial Asiatic Men », « Invasion Arrivant de Mars » ou encore « Indépendantistes Autonomes Marseillais ».
TSR, suffit d'trois lettres pour comprendre que t'es pas l’maître
TSR Crew, Montgolfière (2015)
« C’est le J, c’est le S », les lettres et leurs combinaisons deviennent presque des signes distinctifs pour affirmer son appartenance à un mouvement musical. Il en est de même pour les acronymes du 667 : LDO (Ligue Des Ombres), NRM (Nouveau Rap Mondial), MMS (Mange-Mort Squad). L’usage minimaliste d’un alphabet codé permet d’affirmer une sorte de supériorité sans besoin d’explication.
Si à l’origine les abréviations permettent d’économiser sa parole, ces détournements par le rap donnent aux sigles une importance significative, que ce soit en réaffirmant son blaze ou en saluant son crew. Mais réduire sa rime à quelques lettres n’est pas qu’une façon de faire retentir son nom, puisque ces sigles permettent également de créer un sentiment d’appartenance pour un public d'initié.e.s, capables de déchiffrer le code. Il y a un côté satisfaisant à savoir déchiffrer les significations derrière « QLF », « LIF », ou « VVS » et, à l’inverse, on perd une partie du sens du texte quand on n’y parvient pas.
s/o la secte négro, s/o les trois lettres (Trois lettres, trois lettres, ekip, ekip, ekip, ekip)
Freeze Corleone, Dégradé
Pourquoi en choisir 3 ?
Si ces lettres vont par trois c’est pour plusieurs raisons. D’abord, parce que d’un point de vue purement mathématique, cela permet quand même pas mal de combinaisons – 17576 exactement, on sait que vous aimez les chiffres – ce qui explique sûrement pourquoi on retrouve beaucoup moins de noms en deux lettres : seulement 38 rappeur.euse.s francophones en ont fait leur nom de scène. À l’inverse, ajouter davantage de lettres rend plus difficile la compréhension du sigle. 3 lettres semblent être un nombre optimal pour signifier le plus de chose, en une forme minimale et compréhensible.
Au-delà de trois lettres, les sigles épelés ont parfois quelques difficultés à s’imposer, difficultés liées aux problèmes de prononciation et de mémorisation
Jacqueline Percebois - Professeure d’études anglophones
C’est vrai que d’un point de vue prononciation, l’absence généralisée de voyelles ne facilite pas les choses et savoir prononcer correctement le nom de la dernière marque de Booba DCNTD (Disconnected) montre un côté connaisseur. Pareil pour les noms de famille de vos potes qui se sont retrouvés tronqués sur Instagram. Si la disparition de la voyelle a été popularisée par le besoin d’écrire vite avec le moins de caractères possibles, d’abord à cause des premiers forfait SMS, puis avec l’arrivée de Twitter, elle a l’avantage d’attirer le regard et de susciter la curiosité par rapport à sa lecture ou sa signification. Si on ramène cette théorie aux blazes des rappeurs, arborer un nom en majuscules, sans voyelle, permet visuellement de sortir du lot et intrigue l’auditeur.ice potentiel.le.
Le choix d’un blaze en trois lettres serait donc un moyen de se distinguer et de marquer rapidement les esprits, ce qui nous amène à nous interroger sur l’importance et la symbolique d’un nom de scène. Quand un.e rappeur.euse délaisse son prénom pour un diminutif ou pour un acronyme, c’est une manière de mettre une distance entre son « soi » quotidien et le « personnage » qu’il ou elle va assumer sur scène. À partir de ce constat, faire tenir l’intégralité de sa musique en trois lettres devient presque une performance marketing : pas besoin d’en connaître ni le sens ni la prononciation pour que ces quelques lettres captent l’attention du public. Mieux encore, ceux qui sauront les déchiffrer feront partie d’une communauté d’initié.e.s fédéré.e.s derrière le sigle. Trois majuscules, dans un texte ou dans un nom, devient automatiquement une sorte de logo, de marque, une accroche marketing, et un gage de qualité.